14 Août 2010
Dans cette nouvelle chronique, notre contributrice Myrisis nous fait le plaisir de présenter (texte et photos originales) un artisan d'art dieppois, le sculpteur sur ivoire Philippe Ragault.
Philippe Ragault
par Myrisis
Il fut un temps où Dieppe compta jusqu'à 300 tailleurs d´ivoire ; de nos jours, il n’en reste que deux, dont Philippe Ragault. En quittant le quai-Henri-IV, il est une maison dont la vitrine recèle des bateaux qui racontent une histoire, celle de la conquête des terres lointaines d’Afrique et d’Amérique, et invitent aux voyages sur les mers du globe. A l’abri d’un rideau en bois à demi relevé sont exposés un côtre à hunier (navire des corsaires), une frégate en os de cachalot (époque premier Empire), un gabare d’écurie, réplique de « l’Astrolabe » (sur lequel Dumont d'Urville découvrit la Terre Adélie). Derrière une autre petite vitrine, il n’est pas rare de pouvoir regarder Philippe Ragault en train de travailler, comme cela se faisait autrefois. Il vous reçoit dans son atelier, véritable petit musée tant les pièces, fruits d’années de chine dans les brocantes alentour, y sont nombreuses.
Philippe est un personnage : crinière blanche et bouc lui donnent une allure de descendant de Viking. C’est non seulement un collectionneur averti, qui sait de quoi il parle, mais aussi un artiste créateur. En témoigne les sculptures en ivoire, véritables petits chef-d’œuvre de finesse et de précision dans les détails, tels « l’Homme libellule », « la Bugatti », « Lucarne cerf-volant »… Ou ce « Crabe qui en pince pour une tapette à mouche pour se gratter le chien » et au-dessus il y a un « Monsieur qui tire la langue quand on le regarde dans un miroir ».
Il réalise aussi des voiliers, des bijoux en ivoire et pierres dures comme le lapis-lazuli, des cannes en ébène et manche en ivoire, un tube pour cigare, des moulins à poivre en ébène avec détail en ivoire… Philippe ne compte même pas le nombre d’heures de travail. Et si on lui pose la question pour la fabrication des pièces d’un jeu d’échecs par exemple, il vous répond avec un large sourire qui en dit long : « Le temps passé, il est furieux. Un simple pion comporte quatre pièces vissées les unes dans les autres, un roi, dix pièces, qu’il faut travailler et assembler. »
Depuis la convention de Washington, le commerce de l’ivoire est interdit. « Le grand problème pour un ivoirier, précise Philippe, c’est la matière première. En effet, l’ivoire doit être rentré en Europe avant le 26 février 1976, déclaré auprès du ministère de L’Environnement et consigné sur une feuille jaune du CITES. » Il ne peut donc utiliser que ce qu’il a en stock. Le travail de l’ivoire ne nourrit donc pas son homme. C’est pourquoi il répare et restaure des pièces anciennes pour des particuliers et des musées. Le travail de l’ivoire nécessite de savoir fabriquer soi-même ses outils de tournage et de guillochage, ceux-ci n’étant pas disponibles sur le marché. Il faut aussi tenir compte des contraintes qu’impose ce matériau vivant. « C’est lui qui commande, précise Philippe. Quand j’ouvre un morceau, s’il y a des maladies ou des fractures, cela conditionne le dessin. » Il faut savoir aussi que l’ivoire est une matière vivante donc fragile : il a besoin de lumière et d’une température constante pour conserver sa couleur blanc cassé naturelle et ne pas casser. C’est pourquoi, il faut éviter les chocs thermiques, comme de passer du chaud au froid, ou de le mettre en contact avec des produits gras, comme le parfum et le savon. Mesdames souvenez-vous en…
Philippe souhaite que son art perdure après lui. Mais pour pouvoir former un jeune à ce métier d’art, encore faudrait-il qu’il puisse en vivre. Rien n’est moins sûr à l’heure actuelle. Souhaitons qu’il reste toujours à Dieppe un représentant de cet artisanat d’art…